mercredi 20 juin 2012

Lily on the ranch -2- Portrait de famille.

Alors, comme promis, voici les différentes personnalités qui font vivre la propriété. On va d'abord commencer par ceux qui ne sont pas là, c'est-à-dire qui sont en vacances à Hawaï, les petits chanceux:

La mère: Barbara. 
Diplômée de UC Davis, où elle a rencontré son mari, c'est elle qui a organisé mon séjour, via des échanges de mails. Je ne l'ai pas rencontrée, mais je sais qu'elle est très gentille et qu'elle adore cuisiner.

Les filles, Erin et Robin.
Soeurs jumelles, Erin a été ma coloc cette année, c'est elle qui m'a mise en contact avec ses parents. Les deux soeurs souffrent des même allergies que leur père, mais ça ne les empêche pas de cuisiner, et c'est tant mieux. Erin fait d'excellents gâteaux et m'a dit que Robin voulait écrire un livre de cuisine.
Elles ont 19 ans et sont à l'université, Erin à Berkeley (où elle fait de la linguistique et du russe) et Robin à Davis, comme ses parents.
Elles ont également un frère aîné, Drew, que je n'ai pas rencontré.


Sur le ranch, maintenant, voici ceux qui m'entourent:

Buzz, le chef.
Buzz (de son vrai nom Leonard, mais Buzz c'est vachement plus cool) est véto de formation, il a repris la propriété en se mariant à Barbara, qui possède la majeure partie du ranch avec sa soeur. A 58 ans, il n'est pas dans le meilleur état physique à cause d'une allergie au gluten diagnostiquée tard et qui l'a donc abîmé pendant longtemps, et aussi à cause du travail éreintant qu'il fait toute l'année, au gré des besoins du troupeau. Rien n'entame son enthousiasme, même pas ses problèmes de dos assez conséquents, qui ne s'arrange pas avec les longues chevauchées imposées par le métier.
Toujours souriant et très doux, il m'a accueillie comme un membre de la famille et fait des steaks au barbecue tous les soirs (quand ce n'est pas du poulet). Nous aimons tous les deux la viande saignante et Obama. Il m'a raconté que Bush l'avait définitivement guéri du parti républicain. Tu m'étonnes.
Le soir, en regardant le journal télé, nous nous réjouissons donc du dernier coup de poker du Président (sa déclaration sur les immigrants illégaux entrés sur le territoire en tant que mineurs), qui confusionne les clowns conservateurs depuis des jours. C'en est presque plus drôle qu'au temps de Sarah Palin.

Carol, la Mamma.
Carol est la "doyenne", du haut de ses 66 ans et de son mètre quatre-vingt, elle règne sur le jardin et le potager de Barbara sans partage, assistée du jeune Joe (si je me souviens bien du prénom, je n'ai pas eu l'occasion de lui parler). Buzz et elle sont comme deux doigts de la main, Buzz m'a même dit que quand elle n'était pas là (elle passe chaque hiver au Mexique), il s'ennuyait et tournait un peu en rond.
C'est sûr que travailler dehors sans avoir personne avec qui rigoler, c'est tout de suite moins drôle.
Carol chambre tout le monde gentiment et joue un rôle de décompresseur. Comme elle fait des blagues à tout bout de champ, on en oublie la pénibilité de la tâche et en sa présence, la fatigue retombe et l'atmosphère se détend sensiblement.
Carol vient de Rochester, NY (la ville où j'ai été deux semaines en 2008), mais elle est tombée amoureuse de la Californie et de son climat méditerranéen. Elle a été en France dans sa jeunesse, mais voyage moins depuis qu'elle a arrêté de prendre l'avion (elle a développé une phobie au fil des ans). Elle va régulièrement et longuement au Mexique, et elle est très intéressée par l'Amérique du Sud, notamment parce qu'elle a travaillé en relation avec certains de ces pays lorsqu'elle faisait partie d'Amnesty International, à Los Angeles, dans les années 80 - c'est-à-dire pendant que les Américains faisaient les cons au Salvador.
Elle a aussi travaillé en prison.
Maintenant elle jardine. Je suppose que c'est apaisant.

Sheryl, la femme qui murmurait à l'oreille des chevaux. 
Sans déconner, c'est Robert Redford en mieux, parce qu'elle, elle existe. Voisine de Buzz, elle ne possède pas autant de terres mais a des chevaux, qu'elle sait écouter. Elle monte avec une aisance impressionante, même dans les endroits les plus escarpés. Etre cow-boy consiste à encercler des vaches pour les amener à un point précis, ce qui implique de réagir très vite et de travailler en groupe: il faut parfois couper à travers champs, ou plutôt ici des zones boisées avec un sol humide très meuble qui glisse sous les sabots des chevaux et des bois morts éparpillés partout, sans parler des marécages occasionnels. On n'est pas sur les gentils terrains de compétition d'équitation à la française.
Ici, on monte en jeans et bottes, avec un Stetson pour se protéger du soleil (quand on chevauche six heures pour récupérer du bétail, ça aide). C'est éreintant pour tout le monde, chevaux compris, alors il faut savoir garder la tête froide et s'imposer en permanence à l'animal pour le pousser sans le briser.
Lundi, quand j'ai monté Zip, un cheval d'environ 20 ans, Sheryl n'a pas mis cinq minutes à comprendre pourquoi il renâclait à bouger. Non seulement je n'ai aucune autorité sur les choses plus grosses que moi, mais en plus ses sabots le gênaient et lui faisaient mal.
A 51 ans, Sheryl en paraît quarante. Souriante comme Buzz, elle porte une attention maternelle à tout le monde et m'appelle "sweetie". Ca me dérange pas plus que ça, si ce n'est que c'est le nom du chat de Ma Dalton dans Lucky Luke. Avec Carol, elle traumatise gentiment Buzz (surtout que sa femme n'est pas là, il croyait avoir la paix, QUE NENNI, les femmes veillent). La rigolade tempère la pression de ces derniers jours, car il y a beaucoup de travail: il faut que les vaches soient prêtes jeudi pour être vendues au marché. Carol et Sheryl communiquent beaucoup via messes basses pour s'assurer que Buzz ne pète pas un câble avec le stress et prennen correctement soin de ses chevaux.

April, la maréchale ferrante. 
Ce qui m'amène donc à April, qui a remplacé les fers des chevaux de Buzz hier.
Quand on m'a dit que "the horseshoer" venait, le neutre m'a trompée: je me suis dit, un maréchal ferrand, trop bien, un vieux de la vieille qui connaît l'histoire de la Californie depuis la colonisation et qui raconte des histoires hallucinantes sur l'ancien temps d'où personne était né.
La surprise fut grande quand j'ai débarqué à l'écurie, toute contente de pouvoir regarder quelqu'un ferrer un cheval.
Quand j'ai aperçu la tignasse rousse relevée en un chignon pour le moins ésotérique, j'ai été un peu longue à enregistrer l'information. Ah, encore un coup de cette bonne vieille société hétéro-genrée!

Bref, le maréchal était une maréchale nommée April (Avril) âgée de 30 ans! La jeune femme aussi rousse que Zora est d'un dynamisme assez impressionant. Avoisinnant le mètre 70, elle est de physionomie plutôt mince, mais à bien y regarder, il n'y a que du muscle. Et on les voit, les muscles en question. Surtout quand elle te soulève la patte arrière d'un cheval qui a la flemme de se bouger tout seul. Et voudrait-il reposer sa papatte qu'il ne pourrait pas, parce que quand elle a un sabot dans la main, elle le lâche pas, et c'est le cheval qui abandonne. Sans rire.
Je suis donc restée coite, en totale admiration devant April pendant qu'elle s'occupait de George, pas le mieux disposé des chevaux de Buzz. Buzz et elle discutaient de choses et d'autres pendant que je regardais ce qu'elle faisait avec attention. Pas molle du bulbe, April pontue une phrase sur deux de "Heck yeah" et d'expressions provinciales que je croyais inusitées depuis le 19e siècle. Ca fait un genre de clash historique déroutant de voir ce brin de femme employer un tel lexique. Dégoulinante de sueur (il est dix heures et il fait déjà chaud), elle non plus, ne se départit pas de son sourire (la déprime serait-elle un phénomène urbain??) et me lance que ça doit être dépaysant pour moi de voir la vie de western en vrai, que ça lui fait la même chose quand elle va à Berkeley. Tu m'étonnes. Comme elle dit, là-bas, c'est spécial. Je ne peux qu'agréer.

Ferrer un cheval prend au mieux une heure.
D'abord, on enlève le vieux fer, clouté dans le sabot. Ensuite, on coupe environ un à deux centimètres du sabot qui, comme un ongle, pousse régulièrement. Après avoir limé, nettoyé et gratté l'ensemble, on prend le nouveau fer et on le pose contre le sabot pour comparer les formes. Etape délicate: à froid, il faut marteler le fer à l'aide d'une enclume prévue à cet effet pour qu'il soit de la forme du sabot. Avec le bon coup d'oeil, il faut s'y reprendre à deux fois seulement.
Ferrer un cheval implique de travailler sous lui, plié en deux, un sabot tenu coincé entre les jambes. Je ne vous raconte pas le confort de cette position.
Ensuite, donc, on pose le fer sur le sabot à l'aide de clous, dont les pointes ressortent sur le devant du sabot - il faut donc les couper avec une pince. Enfin, quelques coups de marteau pour s'assurer que l'ensemble tient bien, et un coup de lime pour que le sabot ne dépasse par le fer.
Et on recommence pour les trois autres sabots. HAVE FUN.
Quelqu'un prenant soin de ses chevaux changera leurs fers toutes les 8 semaines environ.
Pendant qu'elle choisit les fers, j'interroge April sur sa vocation.
Elle me raconte qu'elle faisait beaucoup de cheval et avait toujours été intéressée par ce métier. Puis elle précise et je comprends mieux: elle faisait de la course d'endurance avec son cheval, où il faut parcourir jusqu'à trente km par jour. Sans un bon maréchal ferrand, ce n'est même pas la peine de concourir. Par chance, celui qu'elle employait était très bien, puis un jour il a dû arrêter de travailler.
April a donc décidé de faire une école pour apprendre à ferrer les chevaux elle-même.
Elle est extrêmement populaire dans le coin, et ferre principalement des chevaux de ranch.
Elle me dit qu'elle a commencé sa journée à 7 heures 30. Pensant que c'est pas comme si un maréchal ferrand avait tant de boulot que ça, je lâche un "ouais mais c'est pas tous les jours comme ça". Elle hésite, puis répond: "si, la plupart du temps, c'est comme ça".
Je suis recoite pendant une demi-heure.
Elle travaillera encore deux heures avant de se rendre à la propriété suivante.
Voyant son camion s'éloigner, Carol me dit: "c'est un sacré brin de fille, hein, à son âge! Je ne l'avais jamais rencontrée mais ça faisait longtemps que j'en entendais parler. Elle est forte, pour travailler comme ça, elle est dynamique!"
Je dis que oui, c'est sûr, il faut être forte et dynamique pour faire un boulot pareil tous les jours en plein caniard. C'est quelque chose, vu ce que ça demande physiquement. April travaille depuis 7 ans déjà. Je n'imagine pas l'état de son dos. Pourtant, pas une plainte ne lui a échappé ce matin-là, et je doute qu'elle se plaigne souvent. Ferrer les chevaux, c'est son truc, ça se voit, même les chevaux le savent et se tiennent tranquille quand ils sont entre ses mains.

Epilogue: les chiens adorent manger les éclats de sabots des chevaux qui tombent quand April les coupe et les lime, pour une raison qui m'échappe totalement. Bref, du coup, ils s'aventurent assez près d'April et des sabots, à l'affût du moindre bout à mâchouiller. Le cheval, nerveux, ne tient pas en place et s'impatiente à cause des cabots. Ni une, ni deux, April prend sa lime (environ un kilo, j'ai soupesé), et menace les chiens avec. Ils ne traînent pas longtemps dans la zone de frappe, et il n'y a pas besoin de second avertissement.

Bobby, le pale rider, en moins pâle. 
Je ne connais pas trop Bobby, il ne parle pas beaucoup et ne sourit pas beaucoup non plus. C'est l'autre ami de Buzz qui l'aide à regrouper le bétail. Je sais qu'il monte bien à cheval aussi, mais Sheryl et April m'ont dit qu'il ne s'occupait pas très bien du sien. Un cheval peut porter 20% de son poids, ce qui fait environ 100 kgs, un peu plus parfois. Sheryl est catastrophée au vu du poids de la selle de Bobby, qui n'est pas tout maigre non plus. Apparemment, les sabots de son cheval étaient en sale état quand April les a referrés.
Tout le monde l'apprécie, mais comme c'est un taiseux, il n'est pas facile à aborder. Alors que tout le monde prépare son sandwich le midi, il s'effondre dans "son" fauteuil. Je n'ai donc pas vraiment eu l'occasion de discuter avec lui.


Pouf pouf, c'est tout pour aujourd'hui, j'ai mal à la tête à force d'écrire et il faut que je fasse la vaisselle. Ce soir, Buzz rapporte des plats thaï et Carol doit passer.
J'espère pouvoir monter à cheval demain, mais avant il faudra que j'aille finir de désherber les plants de tomates - et c'est pas de la frappe chirurgicale, c'est de l'arrachage massif. D'ailleurs je vais peut-être faire ça maintenant.
Il va aussi falloir dire bonne nuit à tous les chats de la maison - on n'a pas fini.
Heureusement, il y a le Blueberry Cobbler qui nous attend.

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