Je dois quitter mon logement à la mi-décembre. Cela fait trois semaines que je cherche un logement, d'appartements sombres en endroits parfaits avec des gens qui ne veulent pas de moi. C'est stressant, l'idée d'être SDF aux Etats-Unis pour Noël.
Mais aujourd'hui, c'est un de ces jours comme ça, où la vie donne un coup de main, juste pour le fun, ou peut-être parce qu'il y a quelqu'un quelque part qui me regarde en se disant, "bon c'est pas du jeu, déjà qu'elle est à plus de 8000 km de sa maison, on va pas la laisser à la rue".
Bref. Le récit de mon aventure nécessite quelques explications.
A la boxe, car tout commence dans ce gymnase qui était devenu ma deuxième maison depuis un bon bout de temps, il y a Jim, le coach en chef, dont j'espère avoir l'occasion de reparler. Ensuite il y a Jason, qui est en train de reprendre le flambeau et qui s'occupe des débutants et de ceux qui ont maintenant des chances de combattre dans un plus ou moins long terme (dont moi, et j'en reparlerai aussi). Il a engagé d'autres coachs parce que cette année il y a vraiment beaucoup de boxeurs, dont un nombre étonnamment élevé de filles (GIRL POWER en force). Donc, pour coacher les filles, il a engagé... un fille. Je reste dubitative quant au fait que les filles devraient être entraînées par des filles. Peut-être qu'un jour j'en parlerai aussi. Oulala ça fait une longue liste. Bref, toujours est-il que je me fiche de qui m'entraîne du moment que je progresse.
Il se trouve que Nessa, la nouvelle coach donc, est fille et petite-fille d'éminents boxeurs (le genre de types à devenir champion de lutte et champion de boxe le même jour. Si, si, et en prenant le train pour se rendre à la seconde compétition, en plus.) qui ont joué un grand rôle dans l'existence du club de boxe de la fac.
Nessa, il se trouve, parle français, car elle est souvent allée en France, et sa famille y possède une propriété. Première et heureuse coïncidence que d'avoir une telle coach, les francophones en Californie n'étant pas la communauté la plus répandue, vous vous en doutez bien.
Après trois semaines de recherche de logement à lire et relire les petites annonces, envoyer des emails, attendre les réponses et tout le tintouin, j'avais hier sélectionné cinq annonces pour contacter les proprios, suite à un troisième échec qui m'avais légèrement déprimée. Sans parler des angoisses qui commençaient à me réveiller la nuit genre "j'ai toujours pas d'appart merdemerdemerdemerde". Sur les cinq annonces, l'une dit "veuillez me contacter par téléphone au numéro suivant, blablabla".
Petite remarque: je DETESTE utiliser mon téléphone aux Etats-Unis. C'est un phénomène certainement très répandu que je nomme "psychose du non-natif": l'anglais n'étant pas ma langue maternelle, je ne le comprends pas aussi bien que le français, et le téléphone constitue donc la pire des épreuves pour quiconque doit communiquer dans une langue étrangère. D'autant plus quand on ne connaît pas la personne, qui pourrait, surtout aux Etats-Unis, avoir un accent digne de George Bush Jr (sérieusement, non seulement il a un QI d'escargot en hibernation, mais en plus on lui a jamais appris à détacher les mots, à cet imbécile) ce qui ruinerait mes chances d'établir un contact digne de ce nom.
J'avais donc mis l'annonce de côté en pensant: "plutôt crever que d'appeler un inconnu et devoir argumenter au téléphone".
Ce matin, j'ai relu l'annonce, me disant quand même que c'était meublé, moins cher que ce que j'ai là et situé EXACTEMENT où je veux. Donc le bon sens m'a rattrapé et j'ai appelé. J'ai raccroché après une sonnerie pour être sûre que -- que rien du tout en fait, c'est comme les gens qui rallument la lumière pour être sûrs que c'était bien éteint avant. Oui, ben chacun ses tocs, hein, voilà.
Donc j'ai rappelé après avoir envoyé deux mails concernant d'autres annonces (dans le fol espoir de trouver un logement pour ne pas avoir à rappeler, moi=autiste téléphonique). Là je retranscris la conversation en laïve parce que j'ai fait suffisamment de digressions:
MOI: "Bonjour, j'appelle parce que j'ai vu votre annonce sur Craigslist (le site de petites annonces). Je voudrais savoir si la chambre est toujours libre.
LA MADAME GENTILLE- Oui, disons que c'est un peu compliqué... Enfin ça dépend ce que vous recherchez précisément, parce que c'est une chambre dans une maison, donc vous ne pouvez pas vraiment recevoir d'amis... Bref, ce n'est pas un appartement. Donc quelle est votre situation actuellement?
- Ben, je suis une étudiante française en séjour ici pour un an et je recherche un logement pour le deuxième semestre. La question des amis ne me pose pas de problème, j'ai beaucoup de travail de toutes manières, donc je ne fais pas beaucoup la fête ou quoi que ce soit.
- Ah, vous êtes française, [
là je viens de marquer mon premier point] il se trouve que j'ai une maison en France, et nos voisins sont français également, c'est très bien! Donc vous êtes étudiante, d'accord... Moi je suis écrivain, vous savez à la maison à partir de 23 heures c'est assez calme, on travaille tous donc on préfère qu'il n'y ait pas trop de bruit la nuit.
- Oh ne vous inquétez pas, non seulement je suis assez occupée par ma recherche, mais en plus [
là je tente le tout pour le tout, car certaines personnes m'ont recalée quand j'ai dit que je boxais, mais ça sous-entend que j'ai un mode de vie de sportif donc raisonnable] je suis dans l'équipe de boxe de l'université donc en f...
- Vous êtes dans le club de boxe de la fac? Ma fille est coach là-bas!
-Vous êtes la mère de Nessa!!!!!!! [
là, je sais que j'ai un endroit où crécher pour le reste de l'année] Ah mais c'est fou!!
- Bon alors vous pouvez venir visiter la maison si vous voulez!"
30 minutes plus tard, je rencontre la mère de ma coach, on discute de boxe, de la France et de Marine Le Pen (hahaha), et en plus, son chien m'adule en moins d'un quart d'heure, couché à mes pieds pour avoir un câlin avec ses gros yeux globuleux qui disent "copain! copain!". Voilà, j'ai donc une chambre dans une maison avec des gens sympas dedans, très bien situés et avec un loyer raisonnable. Maman, tu peux donc arrêter de t'inquiéter pour moi, je ne serai pas toute seule avec les clodos de Berkeley pour passer Noël (même si certains clodos sont sympas et marrants, aux alentours de l'université).
Maintenant une question pour ceux qui aiment les probabilités:
Combien de chances avais-je de tomber sur la mère de ma coach de boxe qui, en passant, parle un français impeccable et possède une maison à une heure de route de Lyon, en cherchant un logement sur un site regroupant des annonces dans un rayon de 20 km autour de chez moi????