samedi 18 février 2012

Chronicle: le cul entre deux chaises. (1)

Voilà cinq minutes que je me tâte pour trouver un titre à cette nouvelle critique, très à chaud, de ma dernière sortie cinéma (je viens d'en rentrer). J'ai donc vu Chronicle, (Chronique) film de l'inconnu Josh Trank - c'est son premier long-métrage. Le problème avec les critiques à chaud, c'est que c'est dur de synthétiser tout ce qu'on vient de voir, il faut du recul. Ou alors, des fois, il faut bien admettre que ce qu'on vient de voir est un peu brouillon, et donc difficilement synthétisable. D'où mon titre, car ce film est à cheval entre plusieurs genres, et ne parvient pas à choisir. Cela dit, il est intéressant à plus d'un titre, cela vaut donc le coup qu'on en parle.

Je vais donc me brosser les dents (pleines de pop-corn) pour laisser à ce film une dernière chance de décanter car j'ai comme l'impression qu'il ne va pas ressortir vivant de cet article, même si j'ai de l'affection pour lui là tout de suite... (20 minutes et un début d'article effacé plus tard, je n'ai plus que mépris pour ce film. dommage. ça va faire mal.)


 Chronique d'une adolescence ratée, et d'un film qui l'est encore plus.
Andrew va mal. Son père le bat, sa mère se meurt d'une maladie respiratoire. Il n'a pas d'amis, seulement son cousin, qui a la bonté de traîner un peu avec lui et de l'emmener au lycée en voiture. Andrew, c'est Carrie en mec: sa vie est merdique, il est maladivement timide et vit donc dans sa tête, seul avec ses fantasmes et ses frustrations.  Alors, Andrew s'achète une caméra: c'est le film qui nous est proposé là. Il filme un procès à charge contre le monde entier: son père alcoolique et violent, le pharmacien qui refuse de donner les médicaments pour sa mère à l'agonie parce qu'il n'a pas d'argent, les gros débiles du lycée qui le bousculent et l'insultent et les délinquants en bas de chez lui qui ne se privent pas de le tabasser. Il faut dire qu'il n'a pas de chance, ce petit Andrew, car le réalisateur a vraiment décidé de lui pourrir la vie. Il a dû lire un bouquin de psychologie de bas-étage du style "comment nos chérubins deviennent des serial-killers" et compiler les facteurs de déséquilibre mental pour rendre son scénario plausible. Là où Stephen King nous offrait un portrait saisissant d'une Amérique au bord de la folie ayant déjà sombré dans les affres de l'extrémisme religieux, Josh Trank collectionne les stéréotypes rabâchés par des sous-genres déjà peu glorieux comme "le film de lycée", "le film amateur" et "le film flippant avec des jeunes". C'est pas joli joli.
Comment le petit Andrew va-t-il se dépatouiller avec autant de casseroles? Ben dis donc, il en a de la chance, il acquiert le don de télékinésie. Oh bah tiens, c'est comme Carrie aussi, on peut dire que Trank est très original.
Bon, pour éviter que ce honteux plagiat transparaisse aux yeux du public américain (un type sortant de la salle les larmes aux yeux a quand même comparé ce film à Citizen Kane, je lui aurais ri au nez s'il m'avait pas dit qu'il était lui-même réalisateur - à ce stade-là, on ne peut plus rire, il faut pleurer), Josh Trank à collé deux autres héros à Andrew, eux aussi dotés du même pouvoir - tous les trois sont entrés en contact avec une entité d'origine inconnue tombée sur Terre avant que le terrain ne soit quadrillé par la police.

Soyons indulgents, c'est un premier film. 
Certes le personnage principal a un casier chargé à y regarder de près, mais d'un point de vue plus général, le point de départ est plutôt intéressant: dans la vraie vie, ça fait quoi, trois jeunes passablement immatures qui sont télékinésiques?
On pense tout de suite à Kick-Ass, bijou de série B tournant en orgie de violence après qu'un ado boutonneux décide d'enfiler des collants et de se prendre pour un super-héros.
Ici, point de délire de fan de Comic Books, on n'est pas dans le registre de la comédie. Le choix de réalisation présente un potentiel riche (qui reste malheureusement souvent potentiel) qui place le film dans la tradition initiée par Le projet Blair Witch: le film tourné à hauteur de personnage, caméra à l'épaule (comme ça pas besoin de savoir cadrer, hein, c'est le perso qui est manchot!), doté du doux néologisme de docu-narration.
Jusque là, tout va bien. Là où ça casse, c'est que la deuxième partie du film tombe dans l'excès facile: au lieu de se tenir à une histoire, le réalisateur a voulu traverser les genres et faire un film d'action. Et la chute est plutôt rude: en gros, Andrew le frustré utilise ses pouvoirs sur-développés à mauvais escient et devient très, très méchant. Je ne vais donc pas vous parler de ça, le scénario est devinable à au moins un océan de distance, vous savez donc la fin. 

Passons aux choses sérieuses.
Il y a tout de même plusieurs choses (oui, PLUSIEURS) intéressantes esquissées dans ce film.
 D'une part, l'action du principe (docu-narration) sur les personnages, c'est-à-dire la façon dont cette contrainte filmique modèle en partie l'histoire et son contenu. D'abord, il faut que quelqu'un ait toujours une caméra, sinon, on ne voit rien... ce qui peut créer une tension bien exploitée, par exemple lors de la découverte de la chose qui transforme nos trois zigotos: l'énergie dégagée casse la caméra alors qu'un des personnages commence à saigner du nez... Pas mal vu, donc.

Contrainte de la caméra sur la diégèse. 
La contrainte permet de générer une certaine créativité quant à l'usage du principe de base (les ados dirigent les objets à distance): ainsi, Andrew, toujours avec sa caméra (j'y reviendrai), apprend à la manier à distance, la faire flotter dans les airs, ce qui offre un parfait substitut à la caméra objective et donne au genre "docu-narration" une toute nouvelle liberté. Le réalisateur se libère de sa contrainte tout en restant dans son cadre. C'est assez malin. Il était donc bien vu de choisir la télékinésie comme élément fantastique à catapulter dans le quotidien de ces trois jeunes. Heureusement qu'il ne sont pas devenus télépathes, par exemple.
Alors qu'Andrew perfectionne ses capacités, les plans et les cadrages se peaufinent, s'améliorent, et se distancient. Effet collatéral: on se décolle des basques du héros, et on découvre alors son côté sombre. Si, au début, la brutalité du père suscite l'empathie pour ce véritable martyre ordinaire, on constate son enfermement progressif dans une solitude qu'il s'impose à lui-même: s'il la subissait au départ, il choisit par la suite de s'éloigner des deux autres personnages que la télékinésie avait pourtant rapprochés.
Ici commence la pathologique descente aux enfers d'Andrew et du film, la pente glissante sur laquelle il n'aurait pas fallu s'engager à ce point: évidemment, il en fallait bien un pour devenir un peu mégalo et user de ce don de façon à passer sa colère. Jusque là, cela sonne encore juste, et l'on aurait aimé s'arrêter au moment où Andrew envoie une voiture dans un lac sans raison. Il aurait fallu se retenir et en rester à cette taille humaine, cet incident, pour en étudier les conséquences sur les autres: vont-ils le dénoncer à la police, restent-ils amis, où en est la confiance, songent-ils à le punir? Ivre du pouvoir qu'il donne à ses personnages, Josh Trank est tombé dans l'écueil du film grandiloquent et croit réinventer l'eau chaude en montrant deux types qui se battent dans les airs au milieu des gratte-ciels: désolé, coco, c'est déjà fait, et en bien mieux. Qu'Andrew s'entoure, aux moments opportuns, de téléphones et de caméras pour satisfaire son délire narcissique et sa soif de vengeance n'y change rien: l'originalité à ses limites, et le film, à vouloir courir avant de marcher correctement, se casse la figure.

Libertés du personnage sur la caméra.
Si la caméra rend Andrew intéressant par ses contraintes, Andrew, lui, parvient à se doter d'une profondeur inattendue en faisant flotter sa caméra autour de lui. Cela montre aussi la faiblesse de la docu-narration: ici, les meilleurs "moments de cinéma", si modestes soient-ils, sont quand la caméra prend son envol, se distancie des gens, et se rapproche donc de la caméra objective et du film traditionnel.
Pour s'occuper, Andrew se regarde, contemple sa caméra - puis, suppose-t-on, regarde les films qui en résultent. Un onanisme cinématographique qui donne un côté légèrement malsain au personnage (dommage que cela n'aie pas été plus exploité), ado vraiment mal dans sa peau que l'on sent petit à petit basculer dans un autre monde... La meilleure scène du film se situe exactement dans cette veine, elle en est d'ailleurs l'apogée (et elle se trouve très facilement sur Youtube, tapez Andrew et Spider): Andrew se filme en train de tuer une araignée. La caméra flotte à ras de terre, lui a le visage contre le sol. Il est couché dans un moment de contemplation dépressive, en pleine spirale descendante. On le devine plongé dans une mer tumultueuse de fantasmes qu'il peut à présent réaliser, tout-puissant (ou presque) qu'il est. Alors, Andrew prend le contrôle d'une araignée qui passait par là: bien mal lui en a pris, elle finit en apesanteur, mais en pièce détachées. Les pattes flottent dans l'air poussiéreux, juste au-dessus du parquet, et l'on sent que de l'arachnide à l'homo sapiens, pour Andrew, il n'y a qu'un pas...



Il est tard, je continue demain. ou quand j'aurai le temps!

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